Cessions de contrôle et cessions de fonds des PME : une nouvelle obligation impérative d’information préalable des salariés !

01/08/2014

La loi relative à l’économie sociale et solidaire, qui a été publiée au Journal officiel du 1er aout 2014 (loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014), contient des dispositions contraignantes sur le processus de cession de contrôle des PME ainsi que de leur fonds de commerce.

A titre préliminaire, il convient de noter que ces dispositions concernent toutes les les sociétés qui n’ont pas l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise. ainsi que pour les sociétés ayant cette obligation,  les PME au sens de l’article 51 de la loi n°2008-776 du 4 aout 2018 (par renvoi à un décret 2008-1354 du 18 décembre 2008) à savoir les entreprises qui, d’une part, occupent moins de 250 personnes, d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros.

Le champ d’application est donc particulièrement vaste et va très au-delà de l’économie solidaire : le seul « rattachement » à l’économie solidaire pouvant être fait repose dans l’information faite aux salariés sur le projet de cession de leur société (ou du fonds de commerce) et dans la possibilité pour ceux-ci de faire une offre d’achat.

Obligation d’information préalable en cas de cession de contrôle

S’agissant des cessions de titres, un article L. 2310-1 est créé par le Code du travail prévoyant que « lorsque le propriétaire d’une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d’une société à responsabilité limitée ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions veut les céder, les salariés en sont informés, et ce au plus tard deux mois avant la cession, afin de permettre à un ou plusieurs salariés de présenter une offre d’achat de cette participation ». L’article est relativement ambigu sur son champ d’application : doit-on considérer que seules les cessions de contrôle portant sur plus 50% de titres détenus par un même propriétaire sont visées (interprétation restrictive respectant la lettre du texte) ou que toutes les cessions portant sur plus de 50% du capital sont visées même si les titres cédés sont détenus par plusieurs propriétaires…. ?  

L’article précise que « La cession peut intervenir avant l’expiration du délai de deux mois dès lors que chaque salarié a fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre ». Il serait ainsi possible de raccourcir le délai de cession en préparant un document signé par chacun des salariés, mentionnant qu’il a bien été informé du projet de cession et qu’il renonce à présenter une offre.

Lorsque les sociétés sont dotées d’un comité d’entreprise, l’information se fait par son truchement (nouvel article L. 23-10-7 du code du travail).

Il est à noter que l’article L. 23-10-3 du code du travail (en matière de PME ayant moins de 50 salariés) prévoit que « L’information des salariés peut être effectuée par tout moyen, précisé par voie réglementaire, de nature à rendre certaine la date de sa réception par ces derniers. » (l’article L. 23-10-9 du Code du travail prévoit une obligation similaire en matière de PME comptant de 50 à 250 salariés). Est-ce à dire que l’entrée en vigueur de la loi est retardée à la date de publication de ce décret d’application ? On peut en douter au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’entrée en vigueur des lois. La jurisprudence considère qu’à défaut de précision expresse du législateur prévoyant une entrée en vigueur retardée jusqu’à la publication de décret d’application, le principe est une application immédiate de la loi, à la condition toutefois que la loi se suffise elle-même (en ce sens par exemple : Cass civ 3, 2 décembre 1981, 80-14325.; Cass crim., 18 septembre 1990, 80-85717). or, il me semble que la nouvelle obligation d’information des salariés prévue par l’article 20 de la loi sur l’économie solidaire est suffisamment précise pour être appliquée de suite : elle prévoit en effet une information par « tout moyen » permettant de donner « date certaine » : sans attendre des modalités prévues par le décret, on peut déjà considérer qu’un acte sous seing privé signé par les salariés et la société est opposable par la société aux salariés pour donner un caractère certain à leur information. La prudence (au vu de la sanction applicable : voir ci-dessous) recommande donc à mon sens de considérer l’obligation d’information comme directement applicable.

Une sanction sévère : la nullité

La sanction est sévère puisque la cession intervenue en méconnaissance de cette obligation d’information préalable est susceptible d’être annulée à la demande de tout salarié. La prescription de l’action en nullité se fait 2 mois « à compter de la date de publication de la cession de la participation ou de la date à laquelle tous les salariés en ont été informés ». Il y a lieu de constater que les cessions d’actions dans le cadre des sociétés anonymes ou de société par actions simplifié (par exemple) n’ont pas à être enregistrées au greffe (contrairement aux cessions de parts sociales dans les SARL). Un document prouvant la bonne information de chaque salarié sur la cession sera donc impératif dans les sociétés par actions.

Possibilité de se faire assister pour les salariés et obligation de discrétion

Dans le cadre du processus de cession, le nouvel article L2310-2 du Code du travail prévoit que « les salariés peuvent se faire assister par un représentant de la chambre de commerce et de l’industrie régionale, de la chambre régionale d’agriculture, de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat territorialement compétentes en lien avec les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire et par toute personne désignée par les salariés, dans des conditions définies par décret ». Le décret d’application de cet article n’est pas encore paru.

Le législateur prévoit une obligation de discrétion des salariés sur les informations reçues en application de la procédure d’information. Mais on imagine que celle-ci fera difficilement l’objet de sanctions.

Le projet de cession doit intervenir dans un délai de deux ans à compter de l’information donnée au salarié. A défaut, toute nouvelle cession est soumise à une nouvelle obligation d’information.

Obligation similaire en cas de cession de fonds de commerce

Un nouvel article L. 141-23 du Code de commerce est créé qui prévoit que « Dans les entreprises qui n’ont pas l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise en application de l’article L. 2322-1 du code du travail, lorsque le propriétaire d’un fonds de commerce veut le céder, les salariés en sont informés, et ce au plus tard deux mois avant la cession, afin de permettre à un ou plusieurs salariés de l’entreprise de présenter une offre pour l’acquisition du fonds. 

 

Applicable aux cessions conclues à partir du 1er octobre 2014

Ce délai est expressément prévu à l’article 20 de la loi. Il est peu clair : doit-on considérer – par précaution-  que sont visées les cessions dont la réalisation est prévue à partir du 1er octobre 2014? Auquel cas, tout projet de cession dont il est prévu que le closing doit intervenir après cette date devrait faire l’objet d’une information préalable dès le début septembre 2014…

Une nouvelle condition suspensive dans les protocoles et les promesses de cessions de fonds

En conclusion, on peut s’étonner, à l’heure du « choc de simplification » que soit introduite une nouvelle contrainte sur les processus de cession des sociétés et de fonds de commerce. Cela est d’autant plus vrai en matière de cession de titres, qui pourront plus difficilement faire l’objet d’une réalisation très rapide. Les praticiens seront ainsi obligés d’inclure une nouvelle condition suspensive dans les protocoles de cession. En ce qui concerne les cessions de fonds, celles-ci sont traditionnellement plus longues du fait des contraintes légales qui pèsent déjà sur elles. L’ajout d’une nouvelle contrainte sera donc relativement plus indolore.

Samuel Schmidt – Avocat associé – UGGC Avocats

LOI n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire : articles 19 et 20 : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029313296&dateTexte=&categorieLien=id